Points de suspension


1 — Idéogramme composé de trois points horizontaux

2 — Points de suggestion et littérature libertine

3 — Céline, scansion et suspension !

4 — Quelques règles de biénséance

Ressources

Idéogramme composé de trois points horizontaux


Ah ! Les points de suspension ! Ambigus, érotiques, agaçants… Habile omission de fin de phrase qui vient instiller le doute, évoquer, suggérer, signifier la connivence, ajouter une nuance subtile ou parfois simplement narrer l'impuissance de l'écrivain à exprimer sa pensée… Avec les points de suspension, on vacille entre le plaisir de l'évocation et l'horreur du sous-entendu trop insistant. À la fois outil efficace pour le maître de la nuance ou bien manie gênante de l'écrivain désarmé, il n'y a qu'un pas entre la jouissance stylistique et la faute de goût approximative !

Pour certains, ils sont vus comme une facilité, un signe de faiblesse, un manque d'exhaustivité. Pour d'autres, ces trois points équivoques sont un véritable instrument de séduction, de suspicion et de subversion dans la narration. Effet d'attente, points de chute, emphase, surprise ! Quel camp choisirez-vous et surtout, en abuserez-vous ?

« Les trois points en disent plus que toute l’éloquence du monde. » Flaubert

Points de suggestion et littérature libertine


Les points de suspension vinrent habiller de dentelles et de sous-entendus lascifs la littérature libertine du XVIIIe siècle. Dans Justine ou les malheurs de la vertu, on ne dénombre pas moins de 460 délictueux points de suspension… 951 dans Le Libertin de qualité de Mirabeau et 1660 dans Le Paysan perverti de Rétif. Contre, à cette même époque dans la littérature classique, 5 points de suspension dans le Candide de Voltaire, 48 points dans La Vie de Marianne de Marivaux et 6 points dans le Manon Lescaut de Prévost.

« Va, mon ami va foutre Ah! ah! » écrit Mirabeau

Que diantre ! Ils viennent semer la zizanie dans la narration, le foutoir dans le texte, le désordre dans les sens, nos excessifs et canailles petits points replets. Le lecteur se rengorge alors et se pâme à la lecture, l'imagination vacille aux plus hauts sommets ! Le temps d'un soupir, d'un gémissement, entre plusieurs mots, les points de suspension se glissent… Un usage près de cent fois supérieur à celui des récits plus traditionnels.

Céline, scansion et suspension !


« Mes trois points », explique Céline, sont « indispensables à mon métro ! [] Pour poser mes rails émotifs ![]
Ils tiennent pas tout seuls mes rails !
Il me faut des traverses ! ».

Louis Ferdinand Céline usera de signes expressifs, d'exclamation, d'interrogation et de suspension, forgeant là un élément stylistique marquant de sa littérature. Une profusion polissonne de points de suspension et autres signes démonstratifs et pittoresques qui viennent donner rythme, pulsation et franc-parler au texte. Ce langage écrit-causé malmène le point final, beaucoup trop littéraire ! Céline lui préférera l'ambivalence d'une esthétique de la ponctuation spontanée qui vient suspendre la parole, pousser un cri, poser une respiration, un soupir, deux soupirs, une pensée et plus encore…

« Ah ! c’est bien terrible quand même on a beau être jeune quand on s’aperçoit pour le premier coup… comme on perd des gens sur la route… des potes qu’on reverra plus… plus jamais… qu’ils ont disparu comme des songes… que c’est terminé… évanoui… qu’on s’en ira soi-même se perdre aussi… un jour très loin encore… mais forcément… dans tout l’atroce torrent des choses, des gens… des jours… des formes qui passent… qui s’arrêtent jamais… Tous les connards, les pilons, tous les curieux, toute la frimande qui déambule sous les arcades, avec leurs lorgnons, leurs riflards et les petits clebs à la corde… Tout ça, on les reverra plus… Ils passent déjà… Ils sont en rêve avec des autres… ils sont en cheville… ils vont finir… c’est triste vraiment… c’est infâme ! » Mort à Crédit

Quelques règles de bienséance


Quid des VRAIS points de suspension ?

Les trois points successifs furent initialement utilisés en imprimerie classique, trois points à la suite donc. Mais sur les anciennes machines à écrire, l'impression de points successifs (avec des caractères à chasse fixe) créait des espaces excessifs disgracieux dans la mise en page. Le caractère unique des points de suspension fait alors son apparition pour rendre la lecture plus agréable et esthétique. L'usage de ce caractère en un seul signe est aujourd'hui encore d'actualité. Vous voici donc dans la confidence ! Ne commettez plus d'impair…

Points de suspension : …
Trois points : ...

Raccourci clavier sur mac : option + "."
Raccourci clavier sur PC : [Alt+0133]

Où fourrer les espaces ?!

En cas de points de suspension, le point final disparait !
Si les points de suspension sont en début de phrase : une espace avant, pas d'espace après.
Si les points de suspension sont en fin de phrase : pas d'espace avant, une espace après.


« trois points de trois fois rien » Maulpoix J.-M., « Éloge de la ponctuation »


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