Les designers sont-ils des artistes ?


Introduction
1. Définitions imparfaites
2. La technique et le langage
3. Un idéal
4. Et l'artiste, alors ?
5. Passerelle
6. Terrain de jeu
Ressources

Éternelle question. Sempiternelle remarque des clients ou du quidam se refusant, avec gêne et pincettes, à « juger » un design car il s'agirait d'une « question de goût », voire parfois « d'art », omettant là, contexte, objectifs et contraintes qui sont l'essence du processus de design.

Le rapprochement entre les Beaux-Arts et le design est quelque peu arbitraire, le design ayant originellement une démarche et une fonction utilitaire.

L'esthétique ou encore, l'harmonie comme j'aime à le dire, n'étant qu'une considération parmi d'autres dans l'élaboration d'une solution. Une esthétique non négligeable, certes, mais qui n'est pas une fin en soi dans notre discipline.


« La simplicité, c’est l’harmonie parfaite entre le beau, l’utile et le juste… » Frank Lloyd Wright

Définitions imparfaites

L'art à vocation à être interprété (opinion, goût) tandis que le design à vocation à être compris, il peut donc être jugé sur son efficacité.

Comment vous dire... Vous pouvez détester un design, le trouver affreusement peu à votre goût et pourtant, pour la cible qu'il est censé toucher, il est certainement très efficace. Il accomplit son objectif, à savoir : provoquer une réaction. Cette question de goût nous amène incidemment à une autre vaste question, qu'est-ce qu'un bon design ? Tout un chacun à le droit légitimement de se prononcer sur la question du goût tant qu'il ne s'agit pas d'un élément décisif, d'une contrainte déraisonnable qui change la saine direction du processus de design.


« ce n’est ni un art, ni un mode d’expression, mais une démarche créative méthodique
qui peut être généralisée à tous les problèmes de conception. »

Roger Tallon designer — (1929 - 2011)

La technique et le langage

Le designer, ce praticien du design, s'attaque à analyser et résoudre des « problèmes ». Il trie, ordonne et associe les informations entre elles. Il a besoin d'une grande faculté de jugement, de discernement et d'imagination. Durant le processus de design, chaque étape devra être l'occasion d'une discussion, d'interrogations et de débats. La proposition ou maquette est ensuite mise à l'épreuve et défendue devant le client. Il doit évaluer avec objectivité les difficultés et les opportunités d'après leurs caractéristiques et sa propre expérience et répondre aussi aux considérations, bonnes ou mauvaises d'un client néophyte. Le designer a besoin de plus de recul que ce que l'on exige de l'artiste dans son art.

Pour ce faire, il a différents moyens et outils de communication à sa disposition : esquisses, maquettes, argumentaires... Un des outils principaux du designer est le langage. Il doit forger des idées et débattre d'elles auprès du client. Analyser des situations, annoter des schémas, écrire des notices techniques, des notes de synthèses. Ces notions d'empathie, d'expression et de maniement de la langue de façon claire, pertinente et convaincante sont souvent méconnues et mésestimées. Pourtant l'argumentation et la collaboration font la force d'un bon designer.


« ...le fait d'offrir au public une compétence spécialisée reposant en grande partie sur le jugement, et dans laquelle l'expérience et le savoir existant sont de même importance, alors que l'individu compétent non seulement est lié par un code déontologique mais peut aussi être juridiquement tenu de rendre compte d'un niveau de compétence convenable dans l'exercice de ce jugement. »

Ébauche de définition du design par Misha Black — architecte et designer (1910 - 1977)

Considérations sur le métier de designer tirées de l'ouvrage « Qu'est-ce qu'un designer : objets. lieux. messages »

Un idéal

Le designer doit être capable de :

  • s'épanouir sous la contrainte
  • tirer profit de toutes les opportunités
  • apprécier et comprendre les gens, tout en sachant négocier
  • composer avec des situations complexes nécessitant de travailler en équipe
  • s'exprimer correctement
  • avoir le sens pratique
  • assumer des responsabilités vis-à-vis des personnes qui l'entourent
  • s'exprimer par le dessin et utiliser des moyens de production graphiques

En vérité, il se confronte souvent à la réalité, à la confusion, à la vie ordinaire et à ses accidents mais il est intéressant de voir l'angle idéal du métier et de déterminer les compétences d'un bon designer.

Considérations sur le métier de designer tirées de l'ouvrage « Qu'est-ce qu'un designer : objets. lieux. messages »


« Le designer est une éponge, certes, mais une éponge cosmique. » Ettore Sottsass

Et l'artiste, alors ?

L'artiste oeuvre dans un cadre plus intime. Il se doit avant tout de respecter sa vision personnelle, même si celle-ci évolue durant l'avancement comme c'est souvent le cas. Il peut être lié à des responsabilités contractuelles mais qui sont moins importantes que celles des designers dont les décisions mêmes dépendent du cadre contractuel.

L'artiste est aussi moins tributaire de la discussion, du compromis, des courriers et des visites, de toute l'activité de communication que le designer élabore pour concrétiser son travail en résolvant un problème par une solution pertinente.

L'artiste travaille avec ses matériaux tandis que le designer est tributaire du cheminement et des décisions prises en cours du processus. L'artiste obtient une oeuvre finie tandis que souvent, le designer s'arrête à la maquette, qui est son rendu le plus abouti. Il reste dans l'étape des idées, et pas dans la concrétisation physique (sauf dans le cas d'artisans-designers).

Passerelle

On ne peut nier que les artistes et les designers ont une sensibilité visuelle commune. C'est surement sur ce point là que l'on peut faire une passerelle entre ces deux domaines. C'est bien l'acuité du regard qui compte pour un artiste mais aussi pour un designer, et non une discipline ou un éventuel langage commun. Les designers, dans une certaine mesure, apprécient de donner une valeur artistique à leur travail. Mais elle est un élément du processus de conception parmi bien d'autres.

Terrain de jeu

Maintenant, libre à chacun de trouver ses propres mots, ses propres définitions et ses propres pratiques en évitant de tomber dans une case toute faite. On peut se retrouver à la lisière entre plusieurs domaines, le crayon entre deux tables, l'on peut pratiquer sa discipline en mélangeant des fondamentaux et des touches "fusion" d'autres influences. Inventer, ré-inventer. Jouer avec l'esthétisme, les formes, les modes, les codes, établir une logique, un ordre dans nos idées qui n'appartient qu'à nous.


« Nos yeux sont faits pour voir les formes sous la lumière ; les ombres et les clairs révèlent les formes ; les cubes, les cônes, les sphères, les cylindres ou les pyramides sont les grandes formes primaires que la lumière révèle bien ; l’image nous en est nette et tangible, sans ambiguïté. C’est pour cela que ce sont de belles formes, les plus belles formes. Tout le monde est d’accord en cela, l’enfant, le sauvage et le métaphysicien. » Le Corbusier

Qu’est-ce qu’un designer de Norman Potter est un témoignage ardent et critique destiné à tous les acteurs du design. Loin de se contenter d’une interrogation (ou d’une réponse) bien formulée, Norman Potter énonce les conditions dans lesquelles l’activité de design constitue en elle-même une question ouverte. Il affirme que les décisions du designer – et les artefacts qu’elles produisent – sont tenues de proposer une réponse sur le plan social. Potter décrit également les procédures et la méthodologie indispensables à toute solution de design.

Les designers trouveront dans cet ouvrage un portrait vivant de leur profession, ainsi qu’un exposé de références essentielles au mouvement moderne. Les étudiants et les enseignants découvriront une discussion d’une grande richesse, directement issue de l’expérience personnelle de l’auteur. Publié pour la première fois en 1969 en Grande-Bretagne et révisé à trois reprises, Qu’est-ce qu’un designer s’adresse aux étudiants et aux professionnels de tous les domaines du design et de l’architecture.

The first secret of great design | Tony Fadell

Pour conclure, je vous propose une conférence Tedx de Tony Fadell sur la faculté de l'être humain à s'habituer au monde dans lequel il vit et, paradoxalement, la faculté du designer de chercher à voir, à déceler en toute chose, bonne ou mauvaise, une opportunité de remarquer et conduire le changement. Sous-titres en français disponibles.

Ressources


Le design et l'art - Article Almanart

Définition du design par l'Alliance française des designers


Crédits photos par ordre d'apparition :


Mario Gogh — Inhotim Museum, Brazil
Coen van Hasselt — Dongdaemun Design Plaza, South Korea
Dillon Mangum — Charlotte, United States
Natalia Y — Helsinki, Finland
Austin Chan — White neon wallpaper
NordWood Themes — Photoshop templates for influencers
Balázs Kétyi
Mark Williams — Draw Me
Charles Deluvio
Hello I'm Nik — Pantone gift

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