Beautés japonaises


1 — Les peintures de belles femmes

2 — Les beautés de l'ombre de Tanizaki

3 — Les femmes de Mizoguchi

4 — Beautés publicitaires

Les peintures de belles femmes


La culture ukiyo-e

La culture ukiyo-e « image du monde flottant » est un mouvement artistique caractérisé par ses estampes gravées sur bois. Il se développe à Yoshiwara, quartier chaud autorisé d'Edo (aujourd'hui Tokyo) où l'on pouvait trouver nombre de bordels, salons de thé et théâtres. À l'origine, ce terme est lié au concept bouddhiste d'impermanence mais il désigne par la suite l'univers d'une nouvelle bourgeoise urbaine de marchands et d'artisans (la classe moyenne japonaise alors croissante). Il met l'accent sur l'inclination au plaisir et à la jouissance : théâtre kabuki, lutteurs sumo, samouraïs, auberges réputées, scènes de la vie courante, courtisanes et fêtes nocturnes...


« Vivre seulement pour l'instant, contempler la lune, la neige, les cerisiers en fleurs et les feuilles d'automne, aimer le vin, les femmes et les chansons, se laisser porter par le courant de la vie comme la gourde flotte au fil de l'eau ». Dit du monde flottant (Ukiyo-monogarari) d'Asai Ryoi.


1 — Trois beautés de notre temps de Utamaro Kitagawa, 1793, Musée Guimet (source wikipedia)
2 — Kita no kata : image tirée des cent guerriers, 1868, Yushitoshi Tsukioka (source yoshitoshi.net)
3 — Utagawa Hiroshige (1797-1858)


Les Bijin-ga, un idéal de beauté féminine

Le terme « bijin » (美人) d'étymologie chinoise, signifie morphologiquement « belle personne », mais ce terme s'applique ici principalement aux femmes. C'est un des grands genres de la peinture et de l'estampe japonaises ukiyo-e (période d'Edo, 1603-1867).

Les Bijin-ga représentent des courtisanes, des jeunes filles en voyages, des femmes célèbres et connues pour leur beauté ! L'esthétique tant attendue : une peau d'une grande blancheur, de belles joues pleines, des sourcils d'une grande finesse et une bouche rouge, écarlate et vibrante. L'accent est mis sur le kimono, toujours somptueusement décoré de motifs originaux, tout en plis et en mouvements. Beaucoup de ces Bijin-ga étaient des courtisanes de haut-rang de Yoshiwara. Les peintres fréquentaient alors les maisons de rendez-vous et les éditeurs s'y installèrent dans la foulée.

Geisha jouant une partie de kitsune-ken (ancêtre du feuille-papier-ciseau) (1820), Kikukawa Eizan (source wikipedia).


Utamaro Kitagawa

Utamaro Kitagawa fut un maître de l'ukiyo-e particulièrement réputé pour ses représentations de bijin-ga. Son oeuvre comprend également des paysages, faune et flore ainsi que de l'érotisme (shunga). Il fut un des peintres de l'époque particulièrement connu en occident.Les impressionnistes s'inspirèrent de ses cadrages audacieux et du graphisme de ses estampes. Il fut surnommé en occident« le peintre des maisons vertes » (les maisons closes). Il dût faire face à la censure suite à la publication d'estampes traitant d'un roman historique interdit jugé diffamatoire. Il marqua aussi bien l'apogée que le point de départ du déclin de cet art traditionnel populaire.

Quelques autres auteurs célèbres d'estampes de Bijin-ga : Morobonu Hishikawa, Yushitoshi Tsukioka, Kuniyoshi Utagawa, Eizan Kikukawa, Hiroshige Utagawa...

1 — The Hours of the Yoshiwara, c. 1818, from a well-known early bijin-ga series by Kunisada (thereaderwiki.com)
2 — Femme se poudrant le cou, Utamaro Kitagawa (art.rmngp.fr)
3 — Chat japon estampe bois d'Utagawa Kuniyoshi

Les beautés de l'ombre de Tanizaki


« L'histoire des sensibilités »

« Dis-moi quelle lumière tu connais et je te dirais qui tu es »

Louange ou éloge de l'ombre de Tanizaki nous initie à une esthétique japonaise authentique sous l'angle du clair-obscur. Essai à la fois poétique et trivial, nous naviguons du monde occidental au monde oriental pour en saisir les nuances et les différences. Texte universel, écrit avec beaucoup de délicatesse et d'intimité, il nous donne à réfléchir sur notre propre culture, nos origines et notre sensibilité particulière.

Nous évoluons sur plusieurs thématiques au gré de la lecture. L'architecture :comment adapter le confort moderne (électricité, eau, sanitaires, gaz) sans renoncer à l'esthétique japonaise, comme ces cloisons mobiles, les shôji, constituées de papier blanc épais monté sur une trame en bois qui laisse passer la lumière mais cache des regards. Ainsi le soleil peut plaisamment caresser les différentes pièces, passer de l'une à la suivante, tout en étalant sa lumière toujours plus douce et feutrée à mesure que l'on entre dans le coeur de la maison.

Il narre le goût de la patine japonaise sur les objets familiers du quotidien, touchés par les mains et l'accumulation de crasse humaine, de gras, de fumée, de vent, de pluie pendant tant d'années... Adoucissant leurs contours. Apaisant les coeurs. Et comme les japonais aiment à vivre parmi de tels objets patinés par la caresse, comme la nourriture dans ces objets et sous une lumière tremblotante, à la bougie, donne une profondeur au noir laqué, de la luisance aux aliments, un charme certain.

1 — Junichiro Tanizaki (wikipedia)
2 — Henri Cartier-Bresson. Japan, Noh rehearsal, 1965 (pinterest)


« Devant des coffres, dessertes à livres ou commodes en laque lisse et brillante, décorés d'incrustations voyantes, vous jugerez ceux-ci d'une ostentation agaçante, voire vulgaires ; mais enduisez-les du noir complet de l'espace qui les enveloppe, remplacez le soleil ou la lampe électrique par la lumière unique d'une lampe à huile ou d'une bougie, et ces choses arrogantes se trouveront à faire le grand plongeon, soudain chics et posés. C'est que les artisans d'autrefois avaient précisément en tête une pièce sombre et recherchaient un effet sous lumière pauvre lorsqu'ils enduisaient de laque et dessinaient des motifs d'or sur ces ustensiles. (...) cette peinture à la poussière d'or n'était pas faite pour être scrutée d'un seul coup d'oeil dans un lieu éclairé, mais découverte peu à peu dans un lieu sombre, au hasard d'une nouvelle partie qui luit discrètement. C'est dans la mesure où la plupart de ses motifs extravagants demeureront cachés dans le noir qu'ils provoqueront une émotion indescriptible. »


1 — Fig. 13. Att. à Shimooka Renjô, scène d’intérieur, (1865) coll. Christian Polak, Tôkyô Journal.openedition.org
2 — Ohaguro, Maiko pratiquant l'Ohaguro l'art japonais de se noircir les dents www.nautiljon.com


Le fantasme de la femme japonaise

Tanizaki fait le parallèle entre les poupées féminines du bunraku (spectacle de marionnettes de grandes tailles) qui ne possèdent qu'un visage et des mains car le corps est recouvert par un vêtement très long où le manipulateur de la marionnette peut y glisser sa main, et les femmes de haute condition d'autrefois, qui ne sortaient que peu ou cachées dans leurs chars, ne s'exposaient pas à la lumière du soleil et restaient confinées dans la pénombre de leur résidence. Des corps de femmes invisibles, cachés dans des vêtements plus discrets que ceux des hommes, prolongation de l'ombre elle-même. La mode était à l'ohaguro. La coutume consistait à maquiller les dents de noir, faisant apparaitre le visage plus blanc encore, beauté fantomatique, vibrant, dans une maison construite selon les principes du clair-obscur. Des femmes sans corps, discrètes, petites et menues, comme le bâton au milieu du corps des poupées. Des habitantes du noir. Seul le visage était lumineux, maquillé par une lumière sombre.

1 — Fig. 16. Ueno Hikoma, courtisane assise en seiza, carte de visite, v. 1865, coll. Christian Polak. Journal.openedition.org
2 — Fig. 9. Ueno Hikoma, « Jeunes femmes japonaises », 5,5 x 8,7 cm, tirage albuminé, v. 1866, coll. BnF. Journal.openedition.org


« Autrement dit, nos ancêtres ont considéré les femmes comme des laques parsemées de poudre d'or ou de nacre, inséparables de l'ombre, et les ont plongés autant que faire se peut dans le noir, les ont couvertes de longs vêtements à longues manches, d'où seule dépassait la tête, distinguée du reste. Certes leur torse plat et sans équilibre est laid comparé à celui des femmes occidentales. Mais nous ne pensons pas à ce qui ne se voit pas. Nous faisons comme si ce qui ne se voyait pas n'existait pas. Et celui qui insiste pour voir cette laideur, comme celui qui braque une lampe électrique de fort puissance sur le tokonoma de la pièce pour la cérémonie du thé, chasse par son geste la beauté qui se trouvait là. »


Les femmes de Mizoguchi


Kenji Mizoguchi est un metteur en scène important du cinéma japonais classique. Bien qu'une partie de sa filmographie ait été perdue (années 20 et 30), il a marqué de son empreinte le cinéma de l'époque avec un nombre conséquent d'oeuvres, toutes sur une même thématique : la place centrale et stratégique de la femme, soumise et asservie, est dénoncée, que ce soit dans le Japon féodal ou à l’ère contemporaine. Ses personnages féminins subissent ou défient les valeurs anciennes de la société nipponne et contrarient les desseins des hommes. Ses films nous exposent la figure de la femme exploitée, prostituée, réduite à une vie de souffrances, de servitude sexuelle, d’aliénation, dans un emballement mélodramatique.

1 — La Rue De La Honte (Kenji Mizoguchi, 1956)
2 — Isuzu Yamada / Oyuki, la vierge (Kenji Mizoguchi, 1935)


Kenji Mizoguchi est né en 1898 dans une famille modeste. Son père, face à une affaire financière qui tourne court, envoie sa soeur dans une maison de geishas pour subvenir aux besoin de la famille. C'est très certainement dans ce drame personnel, ce choc initial, qu'il puise ses obsessions et ce motif féminin récurrent. Il se soucie du sort réservé aux femmes, de leur misère. Victimes d'hommes vils, brutaux, lâches, elles sont un sous-prolétariat de la société japonaise : femmes fantasmes, femmes aliénées, objets de désirs, mères au foyer, elles sont, sous le vernis des apparences et d'un ordre social bien établi, corvéables à merci. C'est l'ensemble de la société japonaise qu'il dénonce, dans l'exploitation qu'elle exerce sur les femmes.

On y découvre des femmes d'une féminité sophistiquée toute japonaise, les yeux délicatement baissés, agenouillées, des corps glissants, fragiles et subtils. La femme, figure asservie, est confrontée au tragique dans une déferlante d'infortunes, d'épreuves et de souffrances souvent dues à un concours de circonstance, un malentendu, un événement anodin... Une causalité catastrophique ! Et c'est le contraste entre ces femmes si délicates, presque invisibles et la puissance de leur rébellion, leur énergie intense qui nous foudroie à l'écran. Des mouvements de caméra fluides, une prédilection pour le plan séquence, les films de Mizoguchi sont réalistes, à la fois crus et diffus, de sensibilité et de froideur mêlées.

Quelques propositions de films

1946 | Cinq femmes autour d’Utamaro | Sur la vie du maître du bijin-ga et à son rapport aux femmes.
1951 | Miss Oyu | un homme sur le point de se marier s'éprend de la soeur (une jeune veuve) de sa femme.
1952 | La Vie d'O'Haru femme galante | Fille d’une bonne famille aristocratique, O-Haru tombe amoureuse d’un homme de classe sociale inférieure.
1953 | Les Contes de la lune vague après la pluie | Deux villageois ambitieux partent à l’aventure, pendant ce temps, le malheur fond sur les épouses délaissées.
1954 | Les Amants crucifiés | L’épouse du grand imprimeur du Palais Impérial, demande à l’employé préféré de son mari, de lui consentir un prêt pour aider sa famille. Suite à un concours de circonstances, elle est surprise à ses côtés. Compromise mais irréprochable, ils fuient tous les deux.
1956 | La Rue de la honte | La vie quotidienne de prostituées travaillant dans une maison de passes de Tōkyō alors que le gouvernement délibère sur l'adoption d'une loi visant à interdire la prostitution.


Beautés publicitaires


Références publicitaires tirées de l'ouvrage Graphic Design japonais

Nihonshi de Monotypo Studio

Marque japonaise de Saké, Nihonshi vient du mot japonais « nihonshu » qui désigne l'alcool japonais. On retrouve dans le design de Monotypo Studio des éléments caractéristiques du Japon traditionnel : calligraphie et estampes ukiyo-e de la période d'Edo. La pieuvre et son encre, inspirée du bestiaire marin japonais, apporte l'aspect plus populaire. Un mélange de traditionnel et de modernité pour une marque singulièrement élégante.

Hotel Sakura de Daniel Barba

Le designer mexicain Daniel Barba (Studio MONOTYPO) a conçu avec beaucoup de justesse et les packagings de la ligne de soins cosmétiques Hotel Sakura qui est vendue dans les instituts de beauté. Il s'inspire de la culture japonaise et de la beauté orientale toute en élégance et en délicatesse : des teintes douces et atténuées et un travail d'une grande finesse sur les détails. On retrouve la quintessence du Japon dans des cosmétiques au graphisme sobre et raffiné qui n'est pas sans rappeller cette pâleur de la peau tant désirée par les japonaises, teintée de cerisier en fleurs.

Machiya Cosme Tefutefu du studio Dejimagraph

Machiya Tefutefu est une boutique de cosmétiques alliant l'art d'Edo (les estampes ukiyo-e) et le style Harajuku.

Le style Harajuku (street fashion japonaise) regroupe différents styles vestimentaires très excentriques qui sont apparus au début des années 80 au Japon et dans les années 2000 en France. Il tire son nom du quartier du même nom, situé dans l’arrondissement de Shibuya à Tokyo. Cette manière de se vêtir est un refus de rentrer dans les rangs : une démarche contestataire contre une société japonaise jugée trop stricte, contre une mode trop codifiée. Il s'agit de laisser libre cours à son imagination sans souci du regard des autres.

Le Studio Dejimagraph à Nagasaki au Japon a conçu les différents packagings des produits de la marque Machiya Tefutefu. Des emballages fous, colorés et excentriques, ce sont aussi d'excellents souvenirs ! On voit qu'un grand soin est apporté aux détails et au style. Les modèles sur les emballages évoquent des jeunes filles à la période Edo, on a ce petit goût de beauté rétro mélangé savamment avec de la pop et du kawaï caractéristique du quartier Harajuku à Tokyo.

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