36 days of type 2020

Typographie exercices de style !


36 Days of Type est un projet qui invite designers, illustrateurs et graphistes à exprimer leur interprétation particulière des lettres et des chiffres du latin, entre classicisme, créations abstraites, farfelues, originales, texturées, chacun propose sa palette très personnelle. Comme l'alphabet est conséquent, je vous ai fais une petite sélection de mes préférées pour le cru 2019.

L'exercice était fascinant, obligation de se renouveler chaque jour, idées lumineuses, arrachages de cheveux, accepter le très bon comme le banal, prendre du recul, changer son regard pour ré-inventer... le tout en plein confinement ! J'ai donc pris l'alphabet très, très au sérieux (à la lettre). Il faut dire que j'avais du temps à y consacrer. D'autres collègues et créatifs ce sont attelés à la tâche, je vous invite à jeter un petit coup d'oeil sur le site, ou sur les réseaux à taper #36daysoftype et préparez vos mirettes.

www.36daysoftype.com

2 Paréidolie et digression littéraire


Je ne sais pas si vous avez déjà répondu au test de Rorschach (une série de planches graphiques présentant des taches symétriques a priori non figuratives qui sont proposées à la libre interprétation de la personne évaluée). Et bien ce travail graphique sur les lettres de l'alphabet me donne cette impression étrange de voir des formes, des personnages ou des symboles dans la typographie. Ce 2 m'évoque un animal, froufrou-texture, un cygne peut-être, très élégant, au cou fin mais avec une énorme tête. Une impression d'élégance un peu duveteuse.


J'en profite pour étaler un peu ma science (pêchée sur Wikipédia) pour vous parler de paréidolie. Il s'agit d'un phénomène psychologique (et propre à chacun) : nous voyons et interprétons dans des formes indéfinies des formes reconnaissables (nuages, flaques, rocher). Et je vous glisse ici, au passage puisque nous y sommes, une citation de la fée Carabine de Daniel Pennac (l'Afrique dans une flaque de verglas !) découverte en enfance à l'école :

« C'était l'hiver sur Belleville et il y avait cinq personnages. Six, en comptant la plaque de verglas. Sept, même, avec le chien qui avait accompagné le Petit à la boulangerie. Un chien épileptique, sa langue pendait sur le côté. La plaque de verglas ressemblait à une carte d'Afrique et recouvrait toute la surface du carrefour que la vieille dame avait entrepris de traverser. Oui, sur la plaque de verglas, il y avait une femme, très vieille, debout, chancelante. Elle glissait une charentaise devant l'autre avec une millimétrique prudence. Elle portait un cabas d'où dépassait un poireau de récupération, un vieux châle sur ses épaules et un appareil acoustique dans la saignée de son oreille. A force de progression reptante , ses charentaises l'avaient menée, disons, jusqu'au milieu du Sahara, sur la plaque à forme d'Afrique. Il lui fallait encore se farcir tout le sud, les pays de l'apartheid et tout ça. A moins qu'elle ne coupât par l'Érythrée ou la Somalie, mais la mer Rouge était affreusement gelée dans le caniveau. Ces supputations gambadaient sous la brosse du blondinet à loden vert qui observait la vieille depuis son trottoir. »

45 Chiffres aiguisés


Travail plus géométrique et minimaliste sur les chiffres 4 et 5, entre semi-équerre et serpe de druide celte. 36 days of type, c'était aussi l'occasion de tester de nombreuses palettes de couleurs souvent peu utilisées, comme ici, des teintes pastels, sombres et naturelles. Un vert qui n'est pas facile à définir comme un vert de gris mélangé à un vert céladon foncé, et à côté un joli marron taupe, lui aussi très peu usité en design sauf peut-être en décoration d'intérieur.

8 Croissance infinie


Voici le 8, tout en courbures, pointes acérées et rondeurs. Un 8 digne d'Anaïs Nin, enjoleuse littérateresse qui prenait la nuit des bains de lune comme certains prennent des bains de soleil, la lune, nouveau cycle, mue, flux, élément hautement symbolique et féminin. On retrouve ici les croissants de lune, la serpe, la rondeur et la lacération. Ce 8 est dissonant, en clair-obscur. Il vous berce et vous transperce. Je digresse. J'en profite pour vous glisser ici une citation de Nin.

« La nuit m'encercla, photographie décollée de son cadre. Une doublure de manteau se fendit comme les deux coquilles d'une huître. Disjoints, le jour et la nuit — et dans leur fêlure je tombais ne sachant sur quel lit je reposais, si c'était sur la plus haute feuille de l'aube, la grise et la froide, ou sur la couche sombre de la nuit. »

9« Tout vrai regard est un désir »


Et voici le 9, tout ce qu'il y a de plus indiscret. Oeil, monocle, un chiffre curieux qui projette son ombre et se lit dans son vide, en espace négatif. Rouge et tâches texturées. J'aime beaucoup ajouter de la matière dans mes graphismes, qu'on puisse les voir mais aussi les sentir. Amener de la profondeur, de la perspective et plusieurs niveaux tant que possible. J'aime aussi particulièrement le rouge, un rouge fraise un peu sombre et pénétrant et toujours cet espace négatif qui titille le regard.

« Vêtue de rouge et d'argent, entièrement vêtue de ce rouge et de cet argent qui écorchent, déchirent la chair, la femme évoquait irrésistiblement la hurlante fulguration des voitures d'incendies qui dévalent à toute allure les rues de New York en faisant résonner dans les cœurs le gong de la catastrophe. Au premier coup d'œil qu'il lui jeta, le détecteur songea : tout va être consumé. » Anais Nin, une Espionne dans la maison de l’amour.

A • Plénitude & sveltesse


Nous arrivons maintenant sur les lettres, et voici le A, tout ce qu'il y a de plus dodu et bon vivant, mais avec tant de finesse qu'on lui pardonne ses excès de gourmandise. Son côté penché, presque tombant qui contraste avec la droiture de la diagonale, nous donne une impression de fragilité dans la force. La goutte frôle la hampe de la lettre à un tel point que c'en est angoissant. Cette lettre m'a donné beaucoup de fil à retordre, j'ai été longtemps insatisfaite, à la regarder sans savoir quoi corriger, quoi modifier. J'avais besoin de recul. Je lui trouve un je ne sais quoi d'imposant, d'orgueilleux, d'allant et en même temps, beaucoup de délicatesse. J'ai aussi beaucoup aimé travaillé les fluos en dégradés, ce côté bonbon flashy égrillard me ravit les mirettes !

K Une main de fer dans un gant de velours


Comme j'ai pris le challenge en retard, j'ai réellement démarré par la lettre K, et je suis ensuite revenue en arrière pour dessiner les retardataires. C'est aussi la première fois ou je ne me repose pas sur des polices de caractère de typographe déjà dessinées. La page blanche, entre émulation et angoisse ! Ce K est tout ce que j'aime : droiture rassurante, rondeur de fleur, épaisseur douce. J'y vois un personnage (un moustachu de profil), une fleur, peut-être un oiseau, si je dérive beaucoup visuellement. Typiquement ce K pour être un logo. C'est dommage, le mien est déjà fait :)

M Grâce et mignardise


Au niveau graphique, ce fut très vite l'amour fou pour les caractères serif très raffinés avec leurs volutes, leurs ligatures, leurs atermoiements gracieux, leurs fanfreluches et leur élégance aristocratique... Ce je ne sais quoi de too much dans la finesse qui me fait fondre, esthétiquement parlant. L'équilibre est si fragile graphiquement, si difficile à atteindre et pourtant, c'est d'une légèreté et d'une délicatesse ! Comme ces danseurs dont le corps s'exprime avec tant de fluidité que l'on n'imagine pas les errances et les recommencements interminables pour en arriver à une telle maîtrise. Ce type de lettre, en volutes et en ligatures, me donne cette impression. Je tatonne encore allègrement d'ailleurs, je vous invite à aller voir des maîtres dans l'art de la typographie avec Violaine et Jeremy ou encore Anthony James

O PEsquisses


La tablette m'a démangé et je suis partie sur des lettres entièrement dessinées, ou tout du moins, des dessins qui ressemblent à de lettres. Le O en casque de cosmonaute (mon amour de la science-fiction !) et un P larmoyant, attendrissant et quelque peu... dérangeant tout de même. Comme à mon habitude, dès que je dessine, j'aime le classique noir et blanc pour son contraste et son intensité.

QLe plus beau Q d'Instagram !


Mise en abime rocambolesque et sensuelle. La boucle dans la boucle. Le Q dans le Q. Les fesses, le summer-body, la piscine azur avec de la photo patinée. Tous les clichés sont là ! Visuellement, on est sur un vrai look typo retro charmant et coquin. Je crois que c'est vraiment une de mes préférées, des plus sexy et loufoques ! Et cette queue ! (la queue du Q bien sur, relisez votre bréviaire typographique avant de crier à la censure!).

RPsychédélices


Le R de répétition. J'aime beaucoup les lettres qui se lisent autant dans le corps de la lettre que dans l'espace négatif, le vide qui est créé par le graphisme. Il y a deux R en fait, ici. L'ajout de la texture extravagante et fantasmagorique renforce l'effet "'illusion d'optique", comme un cliché qui brule, des produits chimiques qui s'évaporent ou se diluent dans l'eau.

SSygne


Voyez-vous le cygne paisible, caressant la surface de l'eau, le cou courbé, plumes noires ou blanches, le bec écarlate, tout en courbures et volutes dans le dessin du S ? Un jeu de symétrie incomplet, la boucle du haut étant bien évidemment plus petite (pour la tête) et la boucle du bas accueille une vague délicate qui compose le corps comme un courant d'eau. Jeu sur les pleins et les déliés, puis ce orange-rouge vibrant et ardent qui attire le regard. Saviez-vous que les cygnes chantaient avant de mourir ?

YVolutes printanières


On termine sur le Y, avec des volutes à nouveau et le jeu délicat des gouttes aux extrémités et des entrelacements de feuillages. On croirait un coeur.

C'est en travaillant et en produisant que l'on voit finalement quelles sont nos obsessions, nos goûts, nos récurrences. J'ai donc un véritable goût pour les pleins et les déliés extrêmes et contrastés, les petites délicateries subtiles, presque jusqu'au too much.

J'espère que cette balade de caractère vous aura plu ! Rendez-vous l'année prochaine pour le 36daysoftype 2021.

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